Alors que ce soir a lieu l’hommage à l’actrice Parker Posey avec la projection de « Broken English » déjà projeté au festival l’an passé ( !?) et que j’ai donc déjà vu, je profite de cette soirée, non seulement pour prendre un peu de recul par rapport au tourbillon d’images, d’émotions et d'instants insolites mêlés, entrelacés et démultipliés , inhérents à tout festival, et à celui-ci en particulier, mais aussi pour faire un premier bilan de la compétition.
Hier débutait la compétition officielle : 4 films de cette section ont déjà été projetés dont deux premiers films « All god’s children can dance » et « Smart people ». Des personnages fragiles, un douloureux passage à l’adolescence, voire des vies meurtries : ces films reflètent un visage sombre de l’Amérique. Inquiète. Vulnérable. Fébrile. Egarée. En recherche d’une figure paternaliste. Ces 4 films présentent néanmoins de nombreuses divergences. Je m’arrêterai uniquement sur l’un d’entre eux, véritable premier choc de cette compétition : « Gardens of the night » de Damian Harris. (Le titre provient d’un poème de Robert Bridges : My delight and thy delight, like two angels white, in the gardens of the night ». )
Quant aux autres :
- la place de « Smart people » dans la compétition est quelque peu incongrue tant ce film réunit tous les poncifs des séries américaines les plus naïves, aussi classique et formaté dans son sujet, son interprétation que sa réalisation. Aussitôt vu, aussitôt oublié.
-« All God’s children can dance » adapté d’une nouvelle singe le cinéma asiatique par son côté contemplatif sans parvenir à sa hauteur, nous donnant l’impression de voir un court-métrage ou un long inabouti dans cette quête du Père et/ou du père, quête initiatique présomptueuse dans le quartier coréen de Los Angeles.
-« Snow Angels » qui dissèque les circonstances d’un drame dans une petite ville de Pennsylvanie et qui est là aussi un parcours initiatique pour un adolescent qui vit son premier amour et doit supporter la séparation de ses parents, se révèle particulièrement humain dans son analyse d’actes inhumains, des personnages complexes, ordinaires poussés dans des situations d’une horreur extraordinaire. Le scénario habilement ficelé contribue à donner cette impression de situation étouffante et inextricable malgré laquelle la neige finira par tomber, recouvrant l’horreur comme si de rien n’était.
Mais le vrai choc du début de cette compétition c’est « Gardens of the night » qui nous fait suivre Leslie (et voir le monde et son histoire à travers ses yeux innocents de jeune « Cendrillon »), une jeune fille de 17 ans qui mène une existence difficile dans les rues de San Diego en compagnie de son ami d’enfance Donnie le seul à veiller sur elle. Tous les deux tentent de surmonter le traumatisme qu’ils ont vécu neuf ans auparavant.
Le film est divisé en deux partie : dans la première Leslie est encore une enfant et nous découvrons son histoire (elle a été enlevée par et pour des pédophiles) à travers son regard. Dans la deuxième, elle a 17 ans et tente de survivre au passé et au présent.
Le sujet aurait pu donner lieu à un film scabreux mais le premier témoignage du talent de son réalisateur est son absence totale de voyeurisme, de complaisance, lié d’une part à l’utilisation judicieuse du hors-champ, d’autre part au mode narratif et visuel qui s’apparent au conte de fée, à la fable. L’aspect angélique, innocent de la petite fille contraste avec l’horreur de ce qu’elle vit. Le contraste entre son regard, presque onirique, et la réalité exacerbe encore l’âpreté de ce qu’elle vit même si c’est visuellement plus supportable.
Le film s’achève sur une fin ouverte mais aussi sur une note d’espoir, le réalisateur ayant délibérément choisi une fin relativement optimiste de même que l’acteur Tom Arnold qui a raconté en conférence de presse avoir vécu la même chose enfant, troublante et terrible coïncidence, dans la même ville de surcroît: San Diego et avoir aussi accepté ce film en raison de sa note d’espoir finale, et avec l’objectif de démontrer que, même si la blessure demeure incurable, il est toujours possible d’aller de l’avant.
Un travail considérable a aussi été fait sur la lumière, le film a par ailleurs été entièrement storyboardé.
L’équipe du film a été très applaudie, même en conférence de presse.
En préambule de sa présentation au CID, le réalisateur avait précisé qu’il souhaitait émouvoir et pas forcément plaire : objectif réussi.
Et au-delà des qualités du film (de mise en scène, de traitement habile d’un sujet difficile), son sujet, l’enfance meurtrie, auquel la présidente de ce jury 2008, Carole Bouquet est particulièrement sensible, pourrait aussi contribuer à le faire figurer au palmarès.
Un film sensible, émouvant, qui nous fait voir l’horreur à travers les yeux de l’innocence. Un gouffre lumineux, grâce au regard de celle qui s’en échappe, trouvant sa vraie famille. Une histoire d’horreurs et d’amour. Celle de Cendrillon au pays de l’abjection. Le premier vrai choc de cette compétition.
A suivre sur "In the mood for Deauville": l'hommage à Spike Lee demain soir et la suite de la compétition...
Sandra.M