Ouverture du Festival du Cinéma Américain de Deauville 2014 : la magie au rendez-vous (19/09/2014)
Vendredi soir avait lieu l’ouverture de la 40ème édition du Festival du Cinéma Américain de Deauville. 40 ans. L’âge des prémisses de la maturité. Mais de toutes les audaces et tous les rêves, encore, aussi. La salle vibrait (ou peut-être est-ce mon imagination ?) de l’émotion de ces 39 années et ouvertures qui ont précédées celle de vendredi soir. La moitié pour moi. Et autant de souvenirs exaltants, étincelants, vibrants de troublant tango entre réalité et fiction. La magie du cinéma… Cela tombait bien puisque la magie était justement au programme ce soir-là avec l’avant-première du dernier film de Woody Allen « Magic in the moonlight ».
La projection fut précédée de divers discours et hommages, à commencer par le discours de Lionel Chouchan, cofondateur du festival qui, très ému, a rendu hommage à celui qui a créé ce festival avec lui, André Halimi récemment disparu. Puis, le Maire de Deauville, après avoir rappelé que le festival disposait désormais du prix du public de la ville de Deauville, a rendu hommage aux deux légendes du cinéma américain également disparues cette année : Robin Williams et Lauren Bacall. Le cinéma, parmi ses multiples pouvoirs magiques, possède celui de rendre immortels, sur ses écrans, les mythes qui ont forgé sa légende. L’émotion du Maire de Deauville était palpable, d’autant plus que Robin Williams et Lauren Bacall ont marqué de leurs empreintes le festival, et pas seulement sur les planches. Je me souviens ainsi de ce plateau exceptionnel pour les 25 ans du festival dont ils faisaient l’un et l’autre partie. Puis, la salle s’est levée pour Robin Williams, comme un dernier écho à la plus marquante et célèbre scène du « Cercle des poètes disparus ». Le Maire de Deauville, Philippe Augier, a également rappelé que « Deauville a pour ambition de redessiner une nouvelle carte de la cinéphile américaine » et que les films lauréats des éditions précédentes sont projetés dans le cadre des Nuits américaines.
Ce fut ensuite au tour du prestigieux jury de cette édition 2014 (composé presque uniquement, à l’exception de Marie-Claude Pietragalla, d’anciens présidents de jurys du festival) de monter sur scène (sans Emmanuelle Béart qui a dû annuler à la dernière minute en raison « d’un tournage avancé en Inde ».) Chaque membre du jury a ensuite dit un petit mot. Claude Lelouch avec son lyrisme et son enthousiasme habituels a ainsi déclaré qu’ « on ne meurt jamais d’une overdose de rêves. N’ayez pas peur pendant ces 10 jours de vous shooter au cinéma Américain !» Jean-Pierre Jeunet s’est dit impressionné par le prestige de des collègues. Costa Gavras a déclaré son amour pour le festival « J’aime ce festival. Je trouve son évolution très belle. » A l’applaudimètre, c’est Vincent Lindon qui l’a emporté, lui qui avait tant marqué les festivaliers l’an passé, en prenant un tel plaisir et en manifestant une telle passion, communicatifs, à être président du jury, à tel point qu’il avait émis l’utopique souhait d’être président à vie du festival.
Le nouveau président du festival de Cannes, Pierre Lescure, également membre du jury, a ensuite rendu hommage à la lumineuse Jessica Chastain : « Ce soir nous allons rendre hommage à la lumière » a-t-il ainsi déclaré, saluant sa « discrétion fascinante au service du rôle ». Nous nous souvenons que « Take Shelter » dans lequel elle tenait un des rôles principaux avait obtenu le grand prix en 2011 et que, cette même année, elle avait reçu le prix du Nouvel Hollywood du festival. Depuis, elle a prouvé son intelligence par des choix de rôles particulièrement judicieux et souvent audacieux.
Fidèle à son habitude, Woody Allen, « retenu à New York » ne s’est pas déplacé mais a tout de même envoyé un petit mot en vidéo aux festivaliers « J’aimerais traverser l’écran comme dans la rose pourpre » concluant, avec son humour caustique habituel que « Quoi d’autre puis-je dire : c’est bien d’être à New York aussi. »
Après « Blue jasmine » projeté à Deauville l’an passé, en avant-première, avec « Magic in the moonlight » il revient à la comédie, plus légère, même si le film est émaillé de ses réflexions acerbes (mais lucides) sur la vie et même si, comme toujours chez Woody Allen, la comédie, est le masque de sa redoutable (et irrésistible) lucidité sur l’existence et les travers de chacun.
Cette fois, il nous embarque dans les années 1920, sur la Côte d’Azur, avec un grand magicien incarné par Colin Firth qui va tenter de démasquer l’imposture d’une femme médium incarnée par Emma Stone. Le prestidigitateur chinois Wei Ling Soo est le plus célèbre magicien de son époque, mais rares sont ceux à savoir qu’il s’agit en réalité du nom de scène de Stanley Crawford (Colin Firth, donc) : un Anglais arrogant qui a une très haute estime de lui-même mais qui ne supporte pas les soi-disant médiums qui prétendent prédire l’avenir. Se laissant convaincre par son fidèle ami Howard Burkan (Simon McBurney), Stanley se rend chez les Catledge qui possèdent une somptueuse propriété sur la Côte d’Azur : il y fait la connaissance de la mère, Grace (Jacki Weaver), du fils, Brice (Hamish Linklater), et de la fille, Caroline (Erica Leerhsen). Il se fait passer pour un homme d’affaires, du nom de Stanley Taplinger, dans le but de confondre la jeune et ravissante Sophie Baker (Emma Stone) qui séjourne chez les Catledge avec sa mère (Marcia Gay Harden). En effet, Sophie a été invitée par Grace, convaincue que la jeune fille pourra lui permettre d’entrer en contact avec son défunt mari. Mais, contrairement à ce qu’il pensait, non seulement Stanley ne va pas la démasquer immédiatement et se laisser, peut-être, ensorcler par la plus belle et mystérieuse des magies.
« Magic in the moonlight » est ainsi un film pétillant sur la plus belle des illusions : le mystère du coup de foudre amoureux. Dès les premières secondes, Woody Allen, comme nul autre, dispose de ce pouvoir (dont il faut bien avouer qu’il est plus le fruit de talent que de magie) de nous plonger dans un cadre, une époque, de brosser le portrait d’un personnage (en l’occurrence, l’arrogant Stanley) et de nous embarquer dans un univers, une intrigue, un ailleurs réjouissants, quasiment hypnotiques.
Les dialogues, qui, comme toujours épousent le débit du cinéaste, fusent à un rythme échevelé et sont délicieusement sarcastiques à l’image du personnage de Colin Firth, parfait dans le rôle de ce magicien cynique et parfois sinistre (pour notre plus grand plaisir) aux répliques cinglantes. C’est finalement un peu le double de Woody Allen -comme le sont presque toujours ses personnages principaux, y compris lorsqu’il ne les incarne pas lui-même- : prestidigitateur du cinéma qui parvient à nous faire croire à tout ou presque, amoureux de la magie (d’ailleurs omniprésente dans ses films et qu’il a lui-même pratiquée), mais qui lui-même ne se fait plus beaucoup d’illusions sur la vie et ses contemporains, conscient cependant de notre besoin d’illusions et de magie pour vivre. Celles de la prestidigitation. Ou du cinéma. Ces deux maitres des illusions finalement ne se laissent illusionner que par une seule chose : l’amour.
Les décors subliment la Côte d’Azur lui donnant parfois des accents fitzgeraldiens. Hommage avant tout au pouvoir de l’imaginaire, des illusions (salvateur et redoutable) comme l’était le sublime « Minuit à Paris », avec ce nouveau film Woody Allen nous jette un nouveau sortilège parvenant à nous faire oublier les faiblesses du film (comme une intrigue amoureuse qui manque parfois un peu de magie justement) pour nous ensorceler et éblouir.
Dialogues délicieusement sarcastiques, décors et acteurs étincelants, ode ludique aux illusions…. amoureuses (et cinématographiques ), je dois bien avouer avoir, une fois de plus, été hypnotisée par le cinéma de Woody Allen.
Vous avez raison, Monsieur Lelouch, on ne meurt jamais d’une overdose de rêves qui, au contraire, nous aident à supporter la cruauté de l’existence, comme les films aussi sarcastiques et cyniques semblent-ils être, pour notre plus grand plaisir de spectateurs et de tristes (et lucides) mortels. L’occasion, pour moi, en guise de transition, de citer un des films projetés en avant-première dont je vous parlerai ultérieurement ainsi que des 4 films en compétition que j’ai déjà vus : « Le drame est un pays étranger. On ne sait pas s’adresser aux autochtones ». (The disappearance of Eleanor Rigby). Ô combien. Mais c’est là une autre question qui aurait d’ailleurs pu être soulevée par Woody Allen. Heureusement il y a (il reste) le cinéma : passion, elle magique et immortelle, dont ce soir d’ouverture je me suis souvenue à quelle point elle exalte la beauté de l’existence et nous aide à en supporter la brutalité et l’injustice ravageuses, que cette passion que m’a transmise un être cher récemment disparu est un inestimable cadeau. Oui, en route, Monsieur Lelouch, pour dix jours d’une overdose inoffensive et vitale de cinéma…
A lire également: mon dossier sur Woody Allen avec 9 critiques de ses films et mon article sur le programme commenté avec de nombreuses informations sur le festival…et toutes les bonnes raisons d’y venir!
15:41 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | | Imprimer |