Ouverture du Festival de Deauville 2012 : hommage à Harvey Keitel et projection de « Robot and Frank » (01/09/2012)
Comme par magie (celle du cinéma, évidemment), vent et nuage se sont subitement éclipsés pour laisser place à un soleil radieux à l’heure de l’ouverture de ce 38ème Festival du Cinéma Américain de Deauville pour laquelle la salle du CID était comble, hier soir. Pour ce qui est mon 19ème festival (j’ai du mal à le croire…, retrouvez à ce sujet mon édito qui comprend également le programme complet et commenté, ici), le plaisir (d’être ici) et l’envie de découvrir un cinéma plus ou moins différent, plus ou moins audacieux, en tant cas l’envie de découvrir et la curiosité, sont intactes.
Comme chaque année, c’est le maire Philippe Augier qui a pris la parole en premier pour célébrer trois anniversaires, deux centenaires, celui du Groupe Lucien Barrière, indissociable de Deauville, et d’Universal…et celui de sa femme avant d’annoncer l’ajout du nom d’Anne d’Ornano à la majestueuse salle du CID qui fêtait lui aussi un anniversaire, ses 20 ans.
Ce fut ensuite au tour de l’Ambassadeur des Etats-Unis, fidèle au rendez-vous chaque année qui a préféré célébrer cette magie du cinéma justement, en évoquant d’abord la première projection publique payante du cinématographe dans le Salon indien du Grand Café, Boulevard des Capucines, le 28 décembre 1895, en passant par la fameuse citation de Cocteau « Le cinéma est l’écriture moderne dont l’encre est la lumière » ajoutant enfin que « Le cinéma nous fait vibrer, nous aide à lieux comprendre qui nous sommes […], ce qui nous réunit au-delà des différences culturelles… « dans un monde où la dispersion des images occulte la puissance du regard ».
Après une brève intervention du cofondateur du festival Lionel Chouchan vint le moment attendu de l’hommage à Harvey Keitel dévolu au très cinéphile Serge Toubiana, le directeur de la Cinémathèque qui, a divisé les acteurs en deux catégories « la tendance Mitchum et la tendance Stewart » plaçant Harvey Keitel dans la première celle des « mauvais garçons » : « Vous jouez tout d’un bloc en imposant votre physique, votre prestance corporelle ». Il a également évoqué l’expression de la « profondeur d’âme » et de la « sensibilité écorchée » de l’acteur dont vous aurez un aperçu dans la courte intervention de ce dernier.
Puis, pour la première fois depuis que la compétition fut instituée en 1995, c’est un film indépendant qui a ouvert le bal. 15 sont au programme cette année, le festival s’affirmant ainsi plus que jamais comme la vitrine du cinéma indépendant américain sans oublier pour autant les avant-premières qui ont fait la renommée du festival comme ce soir avec « Jason Bourne : l’héritage ».
C’est donc « Robot and Frank » de Jake Schreier qui a fait l’ouverture, le premier long-métrage d’un réalisateur qui n’a réalisé qu’un court-métrage en 2005 et qui sortira en salles le 19 septembre prochain.
Le film se situe dans un futur (très, trop) proche. Frank (Frank Langella), gentleman cambrioleur à la mémoire fragile, vit en vieux solitaire grincheux jusqu'au jour où son fils lui impose un nouveau colocataire, sans nom ni visage : un robot. Chargé de s'occuper de lui, celui-ci va bouleverser la vie du vieil ours solitaire. Frank, d’abord réticent à la présence du robot, va nouer une vraie relation avec son robot jusqu'à mettre au point un braquage des plus inattendus.
Cette fable tendre, pessimiste et poétique (qui fait d’ailleurs écho à la désolante dispersion des images évoquée par l’Ambassadeur, qui nous fait parfois oublier l’essentiel) est une première belle surprise qui, avec beaucoup de simplicité et de délicatesse, par ce tandem improbable, traite de sujets contemporains (la déshumanisation de la société) et sensibles (la perte de mémoire). Dans cette petite ville tranquille et verdoyante où vit Frank, la bibliothèque numérise ses livres, les seuls contacts de ce dernier avec sa fille (qui semble se donner bonne conscience par des actions humanitaires à l’autre bout de la planète tandis que son père vit seul et abandonné) se font par écran interposé, et son seul contact physique est paradoxalement avec ce robot censé être dépourvu d’humanité. L’humour permet de désamorcer le portrait cruel et clairvoyant de notre société ou d’une société proche qui confie au robot (cette chose interchangeable et anonyme comme le montre tristement la fin) la dernière chose qui nous différencie encore, par définition : l’humanité. Tandis que sa mémoire défaille alors que ce robot, lui, justement, n’est que mémoire, certes artificielle, son double aussi (puisqu’il contient une mémoire, un peu la sienne) et son contraire, Frank lui confie ses souvenirs, le confondant parfois même avec son propre fils.
La mise en scène ( minimaliste mais précise), le ton du film (entre humour et mélancolie), l’intensité du jeu de Frank Langella (espiègle et démuni) et un scénario sensible font de ce premier film un objet singulier, attachant et touchant, et, l’air de rien, une réflexion d’une redoutable clairvoyance et d’un terrible pessimisme sur une société qui abandonne tout, y compris l’essentiel (la mémoire et les liens familiaux) à des machines dépourvues de l’un et de l’autre, et donc d’humanité (même si le robot en question ici en a plus que les enfants de Frank).
Je vous parlerai à nouveau de ce film demain, ayant le plaisir d'interviewer le réalisateur demain après-midi.
Ce film a été récompensé au festival de Sundance 2012, en remportant le Prix Alfred P. Sloan (attribué chaque année à des films traitant de science et de technologie.)
Le ton de ce 38ème festival a été donné : entre humour et mélancolie, mettant le cinéma indépendant à l’honneur sans pour autant oublier ce qui a constitué les prémisses et les belles heures de ce festival, les hommages prestigieux. Un judicieux mélange qui, quelle que soit la météo, devrait faire planer un soleil radieux au-dessus de Deauville. A suivre ici. Découvrez aussi les autres blogs inthemood: http://inthemoodlemag.com , http://inthemoodforfilmfestivals.com , http://www.inthemoodforcinema.com , http://www.inthemoodforcannes.com , http://www.inthemoodforluxe.com .
08:19 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | | Imprimer |