Bilan de la compétition officielle du 33ème Festival du Cinéma Américain de Deauville (11/09/2007)
Si cette année, le Festival du Cinéma Américain de Deauville s’est surtout démarqué par ses Premières et son avalanche d’étoiles du septième art, la compétition officielle par la diversité des films présentés a également rempli la salle du CID malgré la noirceur de certains films et notamment du film lauréat du Grand Prix« The dead girl ».
Pour moi quatre films se démarquaient de cette compétition (tout en précisant que je n’ai vu que 8 films de la compétition sur 11, le don d’ubiquité serait bien utile pour les festivaliers…) : « Rocket science », « Never Forever », « The dead girl » et « Factory girl ».
Le premier de ces 4 films, déjà primé à Sundance et signé Jeffrey Blitz, est un film sur l’adolescence, thème que le festival de Deauville affectionne chaque année tout particulièrement pour sa compétition officielle. "Rocket science" se démarque des films sur ce même thème par son écriture, singulière, précise, mélodieuse et poétique, voire surréaliste, par le talent de ses jeunes interprètes, par l’universalité des sentiments qu’il retranscrit, par l’ingratitude de l’adolescence qu’il traduit. Blitz s’est inspiré de son expérience personnelle (lui-même bégayait et excellait dans les concours de débats). Contrairement à nombre de films américains sur ce même thème, il ne fait pas l’apologie de l’excellence, n’est pas moralisateur et ne nous endort pas par une naïveté confondante. Il prône plutôt le dépassement de soi, l’apprentissage de la confiance en soi malgré les difficultés de l’existence qu’il n’élude pas (parents divorcés, un bégaiement qui ne se guérira pas miraculeusement). Blitz avait déjà été nommé aux Oscars pour « Spellbound » un documentaire sur les concours d’épellation nationaux. « Rocket science » a également été primée à Sundance. Le jury de la révélation Cartier présidé par Gaël Morel lui a décerné son prix.
Vient ensuite « Never Forever » mon grand favori de cette compétition 2007, très « in the mood for love », très « Wong Kar Waiesque », qui se démarque des deux comédies romantiques de cette compétition que j’évoquerai ensuite brièvement. Gina Kim parvient à instaurer une tension passionnelle par des détails et des gestes qui deviennent essentiels et déterminants, par la manière dont elle filme et magnifie Vera Farmiga (les nuances de son jeu sont remarquables) en proie aux doutes, écartelée entre deux hommes si semblables physiquement, si dissemblables dans leur histoire, écartelée entre raison et passion, son altruisme et l'égoïsme de ses désirs, par l’intensité et presque la ferveur qu’elle met dans chaque plan. Le spectateur est hypnotisé, captivé et enserré dans cette histoire apparemment insoluble. La passion charnelle qui envahit les deux personnages principaux transpire et émane de l’écran. Le film aurait pu être scabreux ( Afin de sauver à tout prix son couple son mari coréen ne pouvant pas avoir d’enfants, Sophie va payer un travailleur clandestin venu de Corée pour qu’il lui fasse un enfant…), il est envoûtant. Avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, Gina Kim filme le malaise qui se transforme en désir puis en amour et dresse un magnifique portrait de femme amoureuse guidée par ses sentiments et en proie aux affres de la passion irrépressible. Dans un cinéma qui filme de plus en plus la vie en noir et blanc, ou simplement en rose, ce film d’un rouge éclatant est bouleversant, malgré (et à cause de ) sa lumière crépusculaire, il dépasse de loin les autres films la compétition. Gina Kim filme l’ambiguïté des sentiments, le désir amoureux -et le désir d’enfant-, avec en toile de fond l’immigration clandestine. Son film est un « thriller amoureux ». Gina Kim c’est le mariage de Truffaut et Wong Kar Wai. Je vous invite donc à voir ce « Never forever » qui nous immerge dans la fragilité des sentiments. A jamais ou pour toujours. Never ou forever. Si on ne peut jamais dire toujours, l’important c’est d’aimer… « Never forever » a reçu le prix du jury de ce 33ème Festival du Cinéma Américain pour son « mystère » et son « audace » qui a « touché » le jury comme l’a souligné André Téchiné.
Le troisième film de la compétition officielle qui a attiré mon attention est « Factory girl » de George Hickenlooper. (Arrivée à New York en proie à la frénésie du milieu des années 60, Edie Sedgwick rencontre Andy Warhol qui voit en sa vulnérabilité farouche l’étoffe d’une irrésistible muse. Edie se retrouve rapidement au cœur d’un monde en pleine révolution artistique et gorgé de sexe, de drogues et de rock’n’roll). « Factory girl » est un portrait sans concessions des années 60 (en préambule, son réalisateur précise que le film a suscité une polémique lors de sa sortie américaine, le portrait qu’il dresse des années 60 et surtout de Warhol ayant parfois suscité la controverse). A l’image de son sujet, le début du film est apparemment superficiel et excessif, les images paraissent trop lisses et artificielles, puis le film se révèle plus subtil qu’il ne le paraissait de prime abord et il met à jour des blessures plus profondes. Davantage que de par son portrait et sa vision personnelle des années 60 c’est par les questions qu’il pose sur la création que « Factory girl » est intéressant. L’art est-il toujours destructeur ? Doit-il se faire au détriment des autres ? A défaut de le valoriser, il dresse aussi un portrait passionnant d’Andy Warhol, prêt à tout pour plusieurs « quarts d’heure de célébrité » à commencer par dévorer ses muses. L’art libère et dévore. C’est un animal fascinant et dangereux…
Le dernier film de la compétition à avoir attiré mon attention, est celui qui a remporté le « Grand prix » : « Dead girl » de Karen Moncrieff, un film âpre et minimaliste dans le fond comme dans la forme, que la réalisatrice définit comme témoignage d’un monde où le danger est constant mais aussi comme porteur d’espoir. A travers la découverte du corps mutilé d’une jeune fille dans un champ aux abords de Los Angeles, elle va dresser le portrait de plusieurs personnes étrangères les unes aux autres mais liées d’une manière ou d’une autre à ce meurtre brutal qui va les bouleverser. Les visages et les corps sont filmés sans artifices, dans leur impitoyable et sombre réalité et désespérance, qui reflètent la souffrance intérieure des personnages. C’est cette implacable réalité qui nous saisit de plein fouet et que Karen Moncrieff filme avec une véracité saisissante, de même que les douleurs à vif derrière ces visages las de l’existence. Cinq portraits de femmes marquées, blessées par l’existence. Karen Moncrieff a indéniablement le talent de dépeindre des personnages et leurs zones d’ombre et de désespoir. Toni Collette qui interprète la femme qui découvre le corps est impressionnante tant par son jeu que par l’étrangeté douloureuse de son personnage. Une construction astucieuse, une écriture précise pour un film suffocant qui ne laisse filtrer qu’une faible lueur d’espoir dans un univers condamné à la violence. Selon la réalisatrice "l’écran sombre" sert à « panser les plaies » de l’humanité, à défaut de les guérir. Noble dessein. « Un film d’une puissance absolument époustouflante » selon André Téchiné , le président du jury qui a couronné « The dead girl » du grand prix du 33ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, le faisant ainsi succéder à « Little miss sunshine »...
Avec « Grace is gone » la violence est toujours hors champ. Stanley Phillips, fervent patriote et père de deux enfants, est accablé de tristesse lorsqu’il apprend que sa femme Grace a été tuée en Irak. N’arrivant pas à trouver la force d’annoncer cette terrible nouvelle à ses deux petites filles, il décide de les emmener dans leur parc d’attraction préféré. Trois films pendant ce festival ont ainsi évoqué la guerre en Irak : « Redacted » de Brian de Palma, « Dans la vallée d’Elah » de Paul Haggis (voir article ici) et « Grace is gone ». Les trois ont été longuement ovationnés par le public comme si notre empathie pour le sujet nous aveuglait et empêchait tout jugement cinématographique. Si James C. Strouse sait incontestablement filmer la tristesse, il ne nous épargne aucun effet : gros plan sur les larmes, musique outrancière… Le film a ému le public et semble-t-il la critique internationale qui lui a remis son prix.
La comédie romantique sirupeuse n’était pas non plus absente de la compétition avec « Broken English » de Zoe Cassavetes et « Ira et Abby » de Robert Cary. Deux quêtes de l’amour de trentenaires, deux films parmi tant d’autres sur le même sujet. Le premier réunissait pourtant un casting de choix : Gena Rowlands (qui a eu droit à une standing ovation lors de la cérémonie de clôture, Vera Farmiga, très émue de s'exprimer en sa présence, a par ailleurs souligné à quel point elle l'avait inspiré), Parker Posey (surtout formidable dans « Factory girl ») et Melvil Poupaud qui incarne la caricature du « French lover ». Dommage que le film aligne autant de clichés : sur les trentenaires, sur Paris, dans les diaolgues, et que ses situations soient aussi improbables…
Quant au second, le réalisateur a visiblement vu trop de films de Woody Allen (l’anti-héros est juif-new-yoarkais-mal-dans-sa-peau-adepte-des-psys)et ne fait malheureusement que le singer malgré deux personnages attachants.
Enfin « For your consideration », une comédie à Hollywood où un tournage de film se voit bouleversé parce que ses acteurs sont pressentis pour les Oscars. Là encore foule de clichés sur le cinéma et ses travers, sur la soif de célébrité et le cynisme de ceux qui gravitent autour. Le sujet est caricaturé et survolé, dommage : on sourit, parfois.
Sandra.M
14:47 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, festival du cinéma américain de Deauville | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | | Imprimer |