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exodus

  • Premier bilan de la compétition officielle du 10ème Festival du Film Asiatique de Deauville

    Faute de temps pour détailler chaque film, un petit bilan des films de la compétition vus jusqu’à présent sachant que deux films seront encore projetés aujourd’hui.

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    La journée d’hier a débuté par un vrai choc visuel avec « Exodus » du Chinois Pang Ho-Chang. Si un seul mot devait résumer ce film, ce serait originalité, d’abord par son sujet : un policier découvre que certaines femmes, réunies en organisation secrète, complotent pour exterminer les hommes. En préambule, le réalisateur a expliqué que cette idée lui était venue en constatant que les femmes passaient beaucoup plus de temps que les hommes dans les toilettes, il a ainsi imaginé qu’elle passait ce temps à comploter contre les hommes. En réalité, la principale originalité provient surtout de la mise en scène. En guise de pré-générique, nous voyons ainsi un homme qui se fait tabasser par des hommes grenouille à côté d’un portrait qui ressemble à celui de la reine d’Angleterre. La scène est filmée en travelling arrière avec une musique, forte et expressive. L’aspect baroque et stylisé de cette scène m’a fait penser à Kubrick. Certains trouveront la comparaison hasardeuse, voire présomptueuse, mais j’ai réellement été fascinée par la mise en scène de ce jeune réalisateur dont « Exodus » est le sixième film. Ne vous fiez ni à l’aspect apparemment loufoque du pré-générique (qui trouvera d’ailleurs ensuite son explication, tout à fait rationnelle !), ni à celui du sujet, Pang Ho-Chang les maîtrise parfaitement, les traitant à la fois avec sérieux (si bien que nous croyons réellement à cette organisation secrète), et une pointe d’humour qui ne décrédibilisent en rien le sujet mais nous immergent au contraire encore plus dans cet univers finalement si familier. Chaque plan est d’une beauté renversante (souvent des plans fixes suivis de travellings arrière) et ils ne pourront vous laisser indifférents. Le réalisateur a aussi précisé que son film avait été censuré en Chine, avec pour raison officielle que les autorités redoutaient que les étrangers voyant ce film pensent que de telles organisations secrètes existent vraiment dans son pays( !). Evidemment, on peut aussi y voir un appel à la résistance : à résister au régime de l’intérieur plutôt que de le fuir, ces propos à double sens figurant d’ailleurs presque mot pour mot dans le film. Au regard de l’actualité très récente qui témoigne, de façon flagrante, de la dureté et de l’opacité du régime chinois, il ne serait pas étonnant que le jury décide de récompenser ce film qui, en plus d’être visuellement sublime et hypnotisant est en phase avec une dramatique actualité… Deauville, à l’exemple de Cannes, se positionnera-t-elle en écho, voire en résistante politique ? A suivre ce soir avec le palmarès.

    Passons sur l’autre film chinois de cette journée « Fujian blue » du Chinois Robin Weng, un premier film qui montre également un aspect assez proche de la Chine de celui décrit par le film précédent : la volonté d’émigrer des Chinois, et de fuir (à nouveau). La comparaison s’arrête là tant la réalisation est bâclée, le scénario confus donnant à l’ensemble une impression particulièrement ennuyeuse et interminable. Le réalisateur, avec néanmoins beaucoup d’humour s’est demandé ce qu’il devrait faire pour pouvoir habiter à Deauville en soulignant qu’il avait déjà été « pris » par le capitalisme, logeant dans un 5 étoiles…

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    Passons également sur le film thaï « Ploy » de Pen-ek Ratanaruang dont la réalisation est certes là aussi très soignée, nous plongeant dans l’atmosphère grisâtre d’un hôtel de Bangkok pour disséquer les difficultés de communication dans un couple vues à travers le regard d’une jeune femme « Ploy » qui mélange rêve et réalité. Malgré ses aspirations à l’universalité, Pen-ek Ratanaruang ne parvient pas vraiment à nous faire sortir du cadre étriqué de cet hôtel.

    Au contraire, ce sont de grands espaces que filme le Chinois Cai Shanjun dans « The red awn » dans lequel un père, de retour après 5 ans d’absence, doit faire face au mutisme de son fils. Le cadrage (essentiellement des plans larges dans lesquels les personnages semblent égarés) est là aussi exemplaire. Malgré la lenteur, le peu d’actions, la tension est palpable entre ces deux êtres qui ne savent plus communiquer que par le silence et la violence.

    Un film qui pourrait également figurer au palmarès de même que le film « With a girl of black soil » du Coréen Jeon Soo-Il qui présente d’ailleurs plusieurs points communs avec le précèdent. Il s’agit ici d’un père avec ses deux enfants (dont l’un des deux est handicapé mental et dont s’occupe sa petite sœur) dans une ville minière en voie de destruction. Le père perd son travail et va peu à peu commencer la descente aux enfers. Des chants du début entre le père et sa fille ne restent bientôt plus qu’un silence pesant et le râle que son ivresse lui permet seulement d’émettre. Là aussi le décor agit comme un écho au fond : celui de cette terre noire et blanche. Le noir du charbon. La blancheur de la neige qui recouvre à peine la noirceur. Métaphore de cet univers entre noir et blanc, pureté et noirceur que symbolise la jeune actrice principale (fascinante). Là aussi les plans fixes foisonnent et nous désignent une réalité inexorable et étouffante. Jeon Soo-Il nous fait glisser (au propre comme au figuré) de la blancheur vers la noirceur insoluble, dépeignant une réalité sociale sans espoir. Vous n’êtes pas prêts d’oublier cette petite fille au pull rouge (le rouge qui rappelle d’ailleurs celui de la moissonneuse dans le film précédemment évoqué), petite lueur de vie perdue dans cet univers trop grand, trop sombre, trop adulte pour elle. La fin est si belle et si cruelle, à l’image du reste du film,  qu’il est impossible que ce film ne figure pas au palmarès.

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    Difficile aussi pourtant de rester insensible à « Wonderful  town » du Thaï Aditya Assarat, de nouveau un premier film dont l’(in)action se situe dans une petite ville du Sud de la Thaïlande touchée par le Tsunami. Un architecte logé en ville pour travailler à la reconstruction tombe amoureux de la jeune femme qui tient l’hôtel dans lequel il loge. Quand j’écris « inaction », ce n’est pas dans un sens péjoratif car, au contraire, ce sont  cette inaction, cette douleur lancinante qui constituent toute la richesse de ce film. Le Tsunami est finalement très peu évoqué (le mot est cité une seule fois, je crois), et en apparence cette ville terne, grise, moribonde pourrait être n’importe quelle ville en voie de désertification. Bien sûr, il y a les ruines, l’eau qui revient dans de longs plans comme une menace constante, il y a les regards obliques, le désœuvrement des habitants. Il y a cette sensation de piège que ressent la jeune femme, entre la mer et la montagne, apparemment infranchissables. (A la fin elle se retrouve d’ailleurs symboliquement derrière un grillage). Toute la force réside dans le hors-champ, les non dits, les silences là où il aurait été si facile d’être explicitement maladroit. La vie même du jeune architecte reproduit d’ailleurs le drame du Tsunami. C’est l’eau qui va l’engloutir, qui va engloutir la vie, insupportable, qu’il symbolise alors que lui aussi, visiblement, vivait l’horreur, en silence. Le titre est alors d’une sinistre, tragique, cynique ironie. Celle du désespoir.  Celle de la douleur insondable et indicible. Qui a tout détruit : même l’humanité de ses habitants. Détruits.

    Vous l’aurez compris : la sélection de ce 10ème Festival du Film Asiatique de Deauville , d’une grande qualité, est le reflet d’une réalité sombre, que ce soit de manière réaliste ou métaphorique, une réalité que l’on souhaite fuir (en émigrant, en disparaissant, en rêvant, en l’étouffant dans les deux sens du terme) ou transformer,  d’ailleurs en vain. Un monde qui n’a de « wonderful » et « beautiful » que le nom, un monde dont la noirceur étouffe la moindre lueur de vie,  un monde qui ne sait plus communiquer sa douleur, un monde qui souffre en silence.

    Mes favoris (en soulignant de nouveau que je n’ai pour l’instant vu que 9 films sur 11) : « Keeping watch » (pour sa poésie, son romantisme sombre ),  « Exodus » (pour sa réalisation d’une maîtrise époustouflante), « With a girl of black soil » (pour son interprétation, la réalité sociale qu’il dépeint, sa force tragique), « The red awn » (pour sa beauté formelle), « Wonderful town » (pour son hors-champ, ses non dits, la pudeur subtile de la réalisation, la force du sujet). Espérons que le grand prix et le prix du jury se verront attribuer à deux d’entre eux…

    Retrouvez le palmarès du 10ème Festival du Film Asiatique de Deauville, dès ce soir, sur « In the mood for  Deauville ».

    Sandra.M