Alors que, ce matin, les planches se réveillent sous un soleil radieux (ne vous avais-je pas dit hier -dans mon premier compte rendu à retrouver, ici- que Deauville, le temps du festival, se transformait en décor de film où tout est possible?), revenons sur la journée d'hier avec trois films qui montrent l'éclectisme de ce festival (sans compter les Docs de l'oncle Sam et les rétrospectives auxquels je n'ai pas eu le temps d'assister).
La journée a débuté avec le premier film en compétition de ce 41ème Festival du Cinéma Américain: "99 homes" de Ramin Bahrani.
Un homme dont la maison vient d'être saisie par sa banque (Andrew Garfield), se retrouve à devoir travailler avec le promoteur immobilier véreux (Michael Shannon) qui est responsable de son malheur.
Cela commence par une image choc. Un homme ensanglanté, mort, chez lui. Dès le début, musique, montage vif, caméra fébrile au plus près des visages contribuent à souligner le sentiment d'urgence, de menace qui plane. Si la situation est manichéenne: les autorités contre les propriétaires expulsés tels les méchants contre les gentils d'un western dont le film emprunte d'ailleurs les codes, bien vite le spectateur décèle la complexité de la situation (notamment grâce au jeu plus nuancé qu'il ne semble de Michael Shannon, dont le cynisme se craquèle par instants fugaces), un "far west" des temps modernes dans lequel chacun lutte pour sa survie, au mépris de la morale. C'est l'envers de l'American dream. Dans cette Amérique-là, pour faire partie des "gagnants", tous les coups sont permis. Ramin Bahrani a retranscrit des situations réelles d'expulsion pour enrichir son film, lui apportant un aspect documentaire intéressant qui montre comment la machine (étatique, judiciaire, bancaire) peut broyer les êtres et les âmes. Dommage cependant que, pour appuyer un propos déjà suffisamment fort et qui se suffisait à lui-même, il ait fallu recourir à cette musique dont l'effet d'angoisse produit est certes incontestable mais qui est peut-être superflue. Le drame social devient alors thriller. La fin (sauver sa peau) justifie alors les moyens, tous les moyens. L'homme qui travaille pour le promoteur immobilier (avec lequel une sorte de relation filiale s'établit, l'un et l'autre ayant en commun de ne vouloir devenir ce que leurs pères furent, à tout prix), prêt à tout pour sauver sa famille, même faire vivre à d'autres le même enfer que celui qu'il a vécu (en essayant tout de même d'y mettre les formes) deviendra-t-il un parfait cynique ou finira-t-il par recouvrer une conscience, une morale? C'est autour de ce suspense que tient le film. La tension culmine lors de la scène finale, attendue, et qui finalement emprunte là aussi aux codes du western: la morale est sauve. N'est-elle pas un peu facile ? Je vous en laisse juges...
Beaucoup plus sobre était le deuxième film en compétition de cette journée: un premier long-métrage de Chloé Zhao intitulé "Les chansons que mes pères m'ont apprises".
Johnny vient de terminer ses études. Lui et sa petite amie s'apprêtent à quitter la réserve indienne de Pine Ridge pour chercher du travail à Los Angeles. La disparition soudaine du père de Johnny vient bousculer ses projets. Il hésite également à laisser derrière lui Jashaun, sa petite sœur de treize ans dont il est particulièrement proche. C'est tout simplement son avenir que Johnny doit maintenant reconsidérer…
Si ce film est donc beaucoup plus sobre que celui précédemment évoqué, ils ont en revanche en commun d'expliquer les failles et les fêlures de leurs personnages par une figure paternelle défaillante. Porté par une voix off (au début principalement) qu'affectionne le cinéma indépendant américain et qui, toujours, produit son effet, créant d'emblée lyrisme et empathie, par des acteurs pour la plupart non professionnels et issus véritablement de la réserve indienne, le film de Chloé Zhao dépeint avec beaucoup de délicatesse ce territoire d'une beauté à couper le souffle, paradoxalement un univers clos qui devient comme une prison étouffante pour ceux qui y (sur)vivent.
La sobriété était aussi au rendez- vous (et c'est pour moi une grande qualité) dans le très attendu "Life"d'Anton Corbijn présenté en avant-première, en présence du réalisateur Anton Corbijn (dont l'excellent précédent film "Un homme très recherché" était en compétition l'an passé à Deauville) et le comédien principal Dane DeHaan. Robert Pattinson à qui le festival devait cette année remettre le prix du Nouvel Hollywood était finalement absent, retenu sur le tournage du dernier film de James Gray depuis lequel il a laissé un message vidéo aux festivaliers.
"Life", c'est l'histoire d'un jeune photographe (Robert Pattinson) qui cherche à se faire un nom et qui croise un acteur débutant, un certain... James Dean (Dane DeHaan) et décide de lui consacrer un reportage. Cette série de photos iconiques rendit célèbre le photographe Dennis Stock et immortalisa celui qui allait devenir une star.
Anton Corbijn a été photographe avant d'être réalisateur et cela se ressent dans chacun de ses films à la mise en scène et photographie d'une élégance remarquable. "Life" est ainsi son 4ème long-métrage après "Control" (2007), "The American" (2010), "Un homme très recherché " (2014). Peu à peu, il dessine ainsi les contours de son univers et de ses personnages, des (anti?)héros solitaires, tel George Clooney dans "The American" (ma critique, ici), dans ce petit village des Abruzzes aux paysages rugueux, d’une beauté inquiétante et âpre avec un personnage qui n'était pas sans rappeler "Le Samouraï" de Melville. Le photographe et James Dean sont aussi à leurs manières des incarnations de ce Samouraï.
Si Dane DeHaan ne possède pas ce charisme et la séduction implacables que dégageait l'acteur de "A l'Est d'Eden", "La Fureur de vivre" et "Géant", son jeu n'en est pas moins d'une réelle intensité. A l'image de ce que fuyait James Dean, les tapis rouges, les flashs, les mondanités, Anton Corbijn a délaissé l'image de papier glacé pour privilégier la "dimension humaine" du personnage, des personnages même car, comme l'a souligné le réalisateur en conférence de presse, hier, le film n'est pas un Biopic mais le portrait de la relation entre ces deux hommes. Il est en effet bien plus intéressant que cela. Il n'en demeure pas moins qu'il passionnera ceux qui, comme moi, aiment ce cinéma des années cinquante et les trois chefs d'œuvre dans lesquels cet écorché vif irremplaçable, cet acteur hors du commun, a tournés.
Si le titre se réfère à celui du magazine dans lequel ont été publiées les célèbres photos de James Dean, il se réfère peut-être aussi à la passionnante réflexion sur la vie (en général et celle de l'acteur) que le film porte en filigrane. Cette vie basée un peu trop sur le passé, pas assez dans le présent, et réfutant l'avenir, cette vie que James Dean a vécue à cent à l'heure, pour oublier le passé, défier le présent et cet avenir qu'il semblait redouter et narguer.
Un film mélancolique et ensorcelant, à la lenteur et la sobriété judicieuses, en accord avec le propos mais jamais ennuyeuses, porté par une réalisation particulièrement élégante et deux acteurs remarquables : si Dane DeHaan ne peut de toute façon "être" James Dean, il donne incontestablement une âme à son personnage et face à lui, Robert Pattinson confirme ce que Cronenberg a su si bien souligner, le potentiel immense d'un acteur qui n'a certainement pas fini de nous surprendre.
Je vous parlerai à nouveau et plus longuement de ce film mais le temps me manque (d'où cette pseudo critique un peu expéditive), je dois vous laisser pour la première projection du jour...
Pour finir, comme chaque jour, je vous invite à suivre mes pérégrinations en direct du festival, sur twitter (@moodforcinema et @moodfdeauville) et sur instagram (@sandra_meziere). Sur mes comptes twitter, je mets également à nouveau quelques pass en jeu. Pour remporter le pass ci-dessous, pour le lundi 7 septembre, retrouvez le règlement en remontant mon fil twitter. Bonne chance!