L’ouverture au son des Moulins de mon cœur de Michel Legrand (ré)interprétés au piano par Steve Nieve, à l'image de l'affiche de cette édition, nous invitait à embrasser la vie, à nous étourdir de cinéma, pour nous éloigner de l'âpreté de l'actualité. Les films, toujours un instantané de l'Amérique contemporaine, nous y ramenaient cependant aussi, déconstruisant le rêve américain, explorant le besoin de (re)pères d’êtres désorientés, traquant le mensonge. Le portrait d’une Amérique déboussolée, en quête de vérité, se raccrochant aux liens familiaux souvent dépeints comme instables. Plus que jamais, le cinéma et ce festival se révèlent indispensables. Pour braquer la lumière sur les ombres du monde. Pour essayer de les éclairer. Mais aussi pour s’en évader.
Stillwaterde Tom McCarthy a ouvert cette foisonnante 47ème édition.
Stillwater, c'est le nom de la ville d'Oklahoma de Bill Baker (Matt Damon) dont la fille emprisonnée à Marseille est condamnée pour meurtre. Polar, drame social, romance ce film est aussi le parcours initiatique d'un homme pétri de foi, religieuse et en l'innocence de sa fille, qui, d'Américain trumpiste et rustre, va peu à peu s'ouvrir à d'autres horizons. Un remarquable scénario pour une quête poignante et haletante.
Le festival a également ouvert une nouvelle page avec sa Fenêtre sur le cinéma français. 6 films dont 5 avant-premières mondiales, qui s'ajoutaient à la cinquantaine de films américains sélectionnés. L’occasion de découvrir le dernier Lelouch, L’amour c’est mieux que la vie. « La vie est le plus grand cinéaste du monde » a coutume de dire ce dernier. En 50 films, il n’a en effet eu de cesse de la célébrer. Celui-ci ne déroge pas à la règle. On retrouve ses « fragments de vérité », ses aphorismes, sa naïveté irrévérencieuse, les hasards et coïncidences et leur beauté parfois cruelle. Et des personnages toujours passionnément vivants dont celui incarné par Sandrine Bonnaire, lumineuse comme elle ne l’a jamais été.
C’est sur la musique de Morricone qu’a eu lieu l’hommage sobre à Belmondo le jour de sa disparition, devant une assistance bouleversée. Comment ne pas penser à un autre film de Lelouch, Itinéraire d’un enfant gâté dans lequel Belmondo incarne Sam Lion, un de ses plus beaux rôles ? Une magnifique métaphore du cinéma qui nous conduit croire à l’impossible, y compris le retour des êtres disparus et l'immortalité des héros de notre enfance.
Comme chaque année, le prix d’Ornano-Valenti était un gage de talent, dévolu au film de Vincent Maël Cardona. Les Magnétiques. Titre qui sied magnifiquement à ce film enfiévré de sons et de musiques qui suinte la fougue, l’énergie, le désir, les certitudes folles, l’urgence ardente, la fragilité, le charme et la déraison de la jeunesse. Un vertige fascinant d’ondes et de lueurs stroboscopiques. Une expérience sensorielle qui vous donne envie d’empoigner et danser la vie, l’avenir et la liberté.
Dans la section L’heure de la Croisette initiée l’an passé sont regroupés les films du Festival de Cannes projetés à Deauville. L’occasion de découvrir notamment La Fracture de Catherine Corsini, tragicomédie sociale ébouriffante, dans laquelle elle marie avec brio les genres pour faire retentir ce cri d’alerte retentissant à la fois drôle et désespéré sur la fracture et les maux d’une époque. Mais aussi le prix du jury à Cannes, Un héros de Farhadi, histoire kafkaïenne sur les dérives des réseaux sociaux mais aussi sur les affres d’un pays, l’Iran.
C’est aussi dans ce cadre que fut projeté le documentaire Jane par Charlotte de Charlotte Gainsbourg, présidente du jury 2021. Un dialogue intime mais jamais impudique entre Gainsbourg et Birkin. Fantasque. Empathique. Mais aussi seule et tourmentée. Par les deuils et leurs chagrins inconsolables. Le temps insatiable et carnassier qui altère la beauté et emporte les êtres chers. Un bijou de tendresse et d’émotion portée par une judicieuse BO, de Bach aux interludes électroniques de Sebastian. D’humour aussi grâce au regard décalé, espiègle et clairvoyant que Jane Birkin porte sur elle-même, la vie, les autres, mais aussi celui que sa fille porte sur sa mère. Un documentaire qui, en capturant le présent et sa fragilité, nous donne une envie folle d’étreindre chaque seconde de notre vie.
Parmi les autres documentaires remarquables, dans la section Docs de l’Oncle Sam, L'État du Texas contre Melissa de Sabrina van Tassel. Melissa est la première femme hispano-américaine condamnée à mort au Texas. Depuis dix longues années, elle attend en prison l'application de l'implacable sentence. Ce documentaire, avec une remarquable rigueur, réalise le travail de défense qui a manqué à l'accusé et met en lumière les failles criantes du système judiciaire américain, véritable machine à broyer les individus. Un plaidoyer contre la peine de mort sur le point de changer le destin qu'il relate.
Blue bayou de Justin Chon (compétition, prix du public) et Flag day de Sean Penn mettent en lumière la noirceur de destins tragiques, éblouis et terrassés par l'American dream. Le deuxième, se penche sur la relation chaotique d'une fille (Dylan Penn honorée d'un Deauville Talent Award) avec son père John (Sean Penn), escroc et menteur pathologique. La mise en scène et le montage sont à l'image de leur relation : chaotiques, morcelés, poétiques. Le tout porté par une bo remarquable entre compositions de Joseph Vitarelli, standards rock-folk et Chopin, et une voix off qui instillent l'émotion.
Parmi les petits bijoux ce la compétition, John and the hole (prix de la révélation) de Pascual Sisto. Un premier long métrage d’une étrangeté fascinante. Des plans étirés et des dialogues sporadiques instillent le malaise accru par l’interprétation du Charlie Shotwell, mutique et inquiétant.
Cette édition 2021 ne fut pas avare d’évènements avec les « conversations ». Des rencontres avec Michael Shannon (récipiendaire d’un Deauville Talent Award), Johnny Depp, Oliver Stone. Des voix singulières qui clament et revendiquent leur indépendance et leur liberté, ne manquant pas de critiquer Hollywood et les médias.
La Première évènementielle fut cette année Dune dont le principal mérite de sa projection à Deauville fut de nous permettre de mesurer l’impressionnant son immersif du Centre International de Deauville.
Cette 47ème édition s’est terminée avec Les choses humaines d’Yvan Attal, prenant de la première à la dernière seconde. La première, c’est Alexandre qui débarque à l’aéroport et qui, plein de sollicitude apparente, aide une femme avec sa valise. La dernière, c’est le visage face caméra de la victime qui l’accuse de viol. Entre les deux, 2h18 captivantes. Parce que les « choses humaines » ne sont ni manichéennes ni simples, l’intérêt du film est de les disséquer dans toute leur complexité et les restituer dans leur ambivalence. Tableau passionnant et nuancé de notre société dans laquelle, là encore, des mondes se côtoient sans se comprendre.
Selon Truffaut « Le cinéma est un mélange parfait de vérité et de spectacle ». Le Festival du Cinéma Américain de Deauville plus que jamais en 2021 incarnait ce mélange parfait !